Hello! Toujours en accompagnement de la sortie de mon ouvrage (en précommande jusqu’au 15 octobre sur Ulule, il ne manque que 40 ventes pour boucler l’impression!), cette semaine je vous propose une réflexion sur les difficultés à d’abord assumer nos identités qui empiètent sur notre capacité à exprimer nos pensées.
“A-t-on le droit?”
Cette question que je pose sur Banh Mi Media aux côtés de rares artistes d’origine vietnamienne, beaucoup d’entre nous nous la posons encore.
Longtemps, mes origines ont été un non-fait, une non-condition, un non-sujet. J'ai été ainsi amputé de toute une force nécessaire à l'épanouissement, au développement, et pour le dire dans des termes de droite: réussir. Mais cet effacement ne s'arrête pas à ma simple personne. C'est un phénomène structurel qui traverse la société française, et il porte un nom que beaucoup brandissent fièrement: l'universalisme.
L'universalisme français, ce concept si noble en apparence, est en réalité une arme subtile d'effacement des identités minoritaires. Sous couvert de neutralité, de méritocratie, et de fraternité républicaine, il exige un lissage des particularismes. On ne parle pas de couleur, de race, ou d'origine, parce qu'en France, nous sommes tous égaux... en théorie. C’est précisément là que réside le piège: sous prétexte de ne pas diviser, on ignore les différences, et donc, les réalités de millions de personnes.
Les mécanismes universalistes, en prétendant que tout le monde est traité de la même manière sans prendre en compte les réalités et les obstacles spécifiques, nous poussent à nous auto-limiter. Dans un contexte où la reconnaissance des différences est perçue comme une faiblesse ou une division, beaucoup d’entre nous finissent par intérioriser ces normes, au point de minimiser voire de renier nos propres identités et expériences. Nous nous convainquons que nous devons nous conformer aux standards majoritaires pour réussir, effaçant ainsi ce qui pourrait justement constituer notre force et notre singularité.
Le comble, c’est que l’emprise perdure, tant que nous nous extrayons pas de notre environnement français. Lorsque je suis venu m’installer au Vietnam, j’ai d’abord eu un élan de reconnaissance à chaque fois que je croisais une personne blanche. Une sensation de familiarité s’emparait de moi, spontanément. Vous savez, cette intuition que l’on a que quelqu’un peut être cool. Mais très vite, j’ai réalisé que je regardais un miroir sans tain. Je les vois, ces personnes blanches, mais iels ne me voient pas. Car ici, je fais partie du décor. Iels ne savent pas que je viens aussi d’un pays occidental. Que j’ai grandi avec eux, avec elles. Il faut alors entrer dans une conversation pour que la familiarité revienne. La réalité, c’est que je me voyais blanc, et que ce déménagement m’avait renvoyé à ma condition, celle de l’Autre.
Cela nous amène aussi à douter de la légitimité de nos parcours, à nous auto-censurer dans la création ou les projets, à adopter une stratégie de survie où nous nous fondons dans un moule qui ne nous correspond pas. Ce processus d’auto-limitation, alimenté par la pression de l’universalisme, nous pousse à sous-estimer nos propres capacités, à étouffer nos voix, et à passer à côté d’opportunités qui auraient pu révéler tout notre potentiel. En fin de compte, sous la pression d’une société qui nous marginalise, nous sommes piégés par un système qui nous fait croire que nos particularités sont des fardeaux plutôt que des atouts, et qui finit par brider nos propre ascensions.
C’est ce que j’ai compris à 39 ans, après 11 ans d’exil. Pour publier quelque chose de pertinent, il fallait d’abord que je reconnaisse mes atouts. J’habite une identité hybride, donc double. Je ne suis pas mi-ceci, mi-cela. Je suis ceci, et cela. Dans une société où la quantité et l’accumulation priment, ne suis-je donc pas une personne de valeur supérieure? Je ne joue pas dans la même cour. Si certains peuvent inventer de nouveaux sports comme le paddle tennis ou le pickleball, pourquoi ne serais-je pas libre d’inventer une nouvelle littérature?
Jusqu’à ce que je parte, j’avais accepté qu’il fallait demander permission. Que devais-je dire? Que pouvais-je dire, qui puisse être pertinent auprès de la société qui m’avait éduqué? J’ai souvent tenté d’être impertinent, mais contrairement aux trublions bénéficiant du privilège blanc, je n’étais pas compris. C’est une nouvelle forme de provocation que je m’autorise alors, en m’octroyant le privilège de la banane.